Piyyoutim
Précédente Accueil Suivante

 

    Les Piyyoutim

Le mot « Piyyout » est dérivé du grec « poiésis » (création), lui-même à l’origine de nombreux mots dans les langues occidentales et notamment du terme français « poésie ».

Un Piyyout est généralement structuré en strophes (Battim, sing : Bayit).

Les Piyyoutim présentent généralement deux caractéristiques :

bullet

La présence éventuelle d’une rime (‘Harouz). Le même mot ‘Harouz désigne également un vers. La première moitié du vers est appelée Delet, et la deuxième moitié est appelée Soger.
La rime peut apparaître entre deux ou plusieurs vers, ou encore entre le Delet et le Soger. Il peut exister également une rime intérieure, entre un Delet et le suivant.

bullet

La métrique (Mishqal). Celle-ci est constituée d’une alternance de Tenou’ot (voyelles) et de Yetedim (sing: Yated; syllabe constituée d’un Sheva Na’ suivi d’une voyelle).

bullet

  le ‘Hataf est considéré comme un Sheva Na’, conformément à sa fonction grammaticale ;

bullet

 le Pata’h Genouva est considéré comme une voyelle ;

bullet

 le וּ en début de mot est considéré comme un Sheva Na’ s’il est suivi d’une lettre בומף avec une voyelle. S’il est suivi d’une lettre (y compris בומף) portant un Sheva, il est généralement considéré comme une voyelle.

bullet

Ce traitement particulier du Shourouq se comprend lorsqu’on lui substitue une préposition כ, ב,  ou ל qui lui est normalement similaire d’un point de vue grammatical : devant une lettre portant une voyelle, cette préposition aurait porté un Sheva Na’; devant une lettre portant un Sheva, elle aurait porté un ‘Hiriq. Le statut du Shourouq est donc le même que celui de la préposition qui aurait été à sa place.

Ainsi, le Piyyout Adon ‘Olam, composé par Rabbi Shelomo Ibn Gebirol au XIème siècle, est structuré de la façon suivante :

אֲדוֹן עוֹלָם אֲשֶׁר מָלַךְ בְּטֶרֶם כָּל יְצִיר נִבְרָא

נִבְרָא

יְצִיר

רֶם כָּל

בְּטֶ

מָלַךְ

אֲשֶׁר

עוֹלָם

אֲדוֹן

2 tenou’ot

Yated

2 tenou’ot

Yated

2 tenou’ot

Yated

2 tenou’ot

Yated

Il faut remarquer que le hataf sous le א de אדון  ou de אשר ont un statut de sheva mobile.

Le Mishqal de ce Piyyout est donc: Yated, 2 Tenou’ot, Yated, 2 Tenou’ot. Le Mishqal est le même dans le Delet et dans le Soger.

Cette structure est observée dans tout le Piyyout. Quelques 'Harouzim dérogent à la règle.

Les contraintes du Mishqal conduisent parfois le Paytan à prendre certaines libertés avec les règles usuelles du Diqdouq, et notamment à inverser Sheva Na’ et Sheva Na’h. Nous donnerons en exemple le célèbre Piyyut Deror Yiqra, composé par Rabbi Dunash Ben Labrat au Xème siècle.

דְּרוֹר יִקְרָא לְבֵן עִם בַּת וְיִנְצָרְכֶם כְּמוֹ בָבַת

בָבַת

כְּמוֹ

צָרְכֶם

וְיִנ

עִם בַּת

לְבֵן

יִקְרָא

דְּרוֹר

2 tenou’ot

Yated

2 tenou’ot

Yated

2 tenou’ot

Yated

2 tenou’ot

Yated

 

Le Mishqal de ce Piyyut est Yated, 2 Tenou’ot, Yated, 2 Tenou’ot.

Dans troisième strophe, il existe deux versions pour le deuxième vers :

דְּרוֹךְ פּוּרָה בְּתוֹךְ בָּצְרָה וְגַת בֶּאְדוֹם אֲשֶׁר גָּבְרָה
וְגַם בָּבֶל אֲשֶׁר גָּבְרָה דְּרוֹךְ פּוּרָה בְּתוֹךְ בָּצְרָה

Ces deux versions sont conformes au mishqal, mais la première semble être la version d’origine, car elle se rapporte à un verset de Yeshaya’ou (LXIII-1,2). Dans cette première version, la formulation correcte aurait été «בֶּאֱדוֹם ». Le ‘Hataf Segol sous le א a dû être changé en Sheva immobile afin de respecter le Mishqal.

De manière similaire, le sheva placé sous le ב de גָּבְרָה  aurait dû être mobile, puisqu’il suit un qamatz, voyelle longue. Il est cependant lu comme un sheva immobile, afin de respecter le Mishqal.

Lorsque coexistent plusieurs versions d’un Piyyout, l’analyse du Mishqal permet parfois d’identifier la version d’origine. Ainsi, le piyyout כִּי אֶשְׁמְרָה שַׁבָּת, composé par Rabbi Avraham Ibn ‘Ezra au XIIème siècle, a pour Mishqal : 2 Tenou’ot, Yated, 4 Tenou’ot, Yated, Tenou’a.

 

כִּי אֶשְׁמְרָה שַׁבָּת אֵל יִשְׁמְרֵנִי אות הִיא לְעולְמֵי עַד בֵּינו וּבֵינִי

נִי

וּבֵי

מֵי עַד בֵּינו

לְעוֹלְ

אוֹת הִיא

נִי

מְרֵ

שַׁבָּת אֵל יִשְׁ

מְרָה

כִּי אֶשְׁ

Tenoua

Yated

4 tenouot

Yated

2 tenouot

Tenoua

Yated

4 tenouot

Yated

2 tenouot

2 remarques :

bulletLe sheva sous le deuxième lamed de לְעולְמֵי devrait, selon les règles de grammaires être mobile. Mais là, il est compté comme immobile.
bulletLe וּ de וּבֵינִי est compté comme un sheva mobile.

Dans la strophe qui commence par «הַיּוֹם מְכֻבָּד הוּא יוֹם תַּעֲנוּגִים », la version d’origine, conforme au Mishqal, est «מִתְאַבְּלִים בּוֹ הֵם אחוֹר נְסוֹגִים». La version la plus répandue aujourd’hui «הַשְּׂמֵחִים בּוֹ הֵם שִׂמְחָה מַשִּׂיגִים» n’est pas conforme au Mishqal. La modification est intervenue afin de ne pas mentionner de langage de deuil le Shabbat.

Au fil du temps, et sous l’influence des cultures environnantes, le respect du Diqdouq s’est dégradé dans de nombreuses communautés. Ce relâchement s’est traduit dans les Piyyoutim par la suppression de la distinction entre voyelle et Sheva Na’. Le Mishqal se réduit alors au nombre de voyelles, incluant le Sheva Na’. Ae Piyyout Yodoukha Ra’yonay, composé par Rabbi Israel Najara (1555-1628) a pour Mishqal 6 Tenou’ot, incluant le Sheva Na’.