Histoire III
Précédente Accueil

 

Les leçons de niveau III sont conçues pour les lecteurs voulant approfondir les connaissances présentées sur ce site.

Il est conseillé de lire et de maîtriser d'abord les niveaux I et II de tous les sujets avant d'aborder le niveau III d'un sujet.

Le dikdouk et le texte

Il arrive que parfois l'on ait du mal à concilier les lois du dikdouk et le texte biblique vocalisé. Quand on débute, c'est souvent par ignorance, ou par maladresse. Puis quand on progresse, on continue à tomber sur quelques cas difficiles à interpréter.

Il faut bien comprendre l'ordre dans lequel les choses se sont faites :

Un texte a été transmis par les sages. Les consonnes par écrit. Le reste (voyelles, sens, regroupement des mots, accentuation), oralement.

A partir du 7ème siècle les massorètes se sont posés la question de la mise par écrit de cette tradition orale par crainte de sa disparition. Ils ont inventé un système de notation pour les informations transmises oralement.

Au 10ème siècle ont été rédigés les plus anciens manuscrits encore existants faisant foi sur ces questions.

Puis des gens ont rédigé des livres pour expliquer la logique de la vocalisation et des autres signes.

Donc le dikdouk explique le texte, il n'impose pas le texte.

Parfois le texte peut contredire le dikdouk. Mais c'est le texte qui a raison.

Il y a plusieurs façon de présenter les règles. Souvent, une règle aboutit à des exceptions, qu'il faut mettre en évidence par une nouvelle règle, laquelle va rencontrer quelques exceptions résiduelles.  Si une règle est présentée différemment elle aboutit à des jeux d'exceptions différents.

On peut exprimer un règle pour qu'elle soit simple, ou pour qu'elle gère le maximum de cas.

Exemple de règle à tiroir  : Certaines grammaires expliquent qu'un sheva est mobile après une voyelle longue. D'autres après une voyelle longue non accentuée. D'autres après une voyelle longue sauf sur l'avant-dernière syllabe d'un paroxyton naturel. Même si la dernière définition est la plus exacte, l'analyse des cas possibles montre que les différentes formulations aboutissent à des conclusions identiques dans l'immense majorité des cas. Pour un exposé pédagogique, les 2 premières approches suffisent.

Autre exemple : Dans le cours Dagesh II, la règle pour placer un dagesh en début de mot est suffisante pour la majorité des usages. Dans le cours Dagesh III, la  règle complète prend plusieurs pages avec une grosse exception, et 5 règles d'exceptions à l'exception principale. Parmi ces 5 règles, certaines prennent en compte plusieurs cas très subtils.  A ce niveau, seule l'exploration patiente des exemples du texte permet de conclure.

Il y a également dans le texte quelques cas en contradiction flagrante avec toutes les règles du dikdouk. Cela signifie tout simplement que le dikdouk n'a pas pris soin d'expliquer les règles pour des cas rares.

Exemples dans I Samuel I, 6 :

וְכִעֲסַתָּה צָרָתָהּ גַּם-כַּעַס, בַּעֲבוּר הַרְּעִמָהּ:

Ou dans Genèse 43, 26 :

וַיָּבֹא יוֹסֵף הַבַּיְתָה, וַיָּבִיאּוּ לוֹ אֶת-הַמִּנְחָה אֲשֶׁר-בְּיָדָם הַבָּיְתָה; וַיִּשְׁתַּחֲווּ-לוֹ, אָרְצָה.

Le premier contient un ר avec un dagesh, le deuxième contient un alef avec un dagesh (que certains navigateurs Internet représentent mal). Choses que le dikdouk interdit. La tradition explique bien que ces dagesh ne sont pas des erreurs, mais bien déliberés. L'examen de tous les cas concernés montre d'ailleurs des ressemblances phonétiques qui montrent que ces cas ne sont pas dus au hasard.

Keri et ketiv

Certaines incohérences existent dans le texte vocalisé. Certaines viennent de mots qui ont une orthographe différente en 2 endroits (présence ou absence des mères de lectures). D'autrefois d'une différence entre le texte lu et le texte écrit. Les massorètes ont alors choisi deux solutions.

La première consiste à écrire une voyelle incohérente avec le texte. Par exemple, en hébreu, "il" se dit הוּא et "elle" se dit הִיא. Plusieurs fois, le texte consonantique est écrit הוא, mais le contexte est féminin. Les massorètes vocalisent alors הִוא.

L'autre solution consiste à laisser dans le texte le mot sans voyelle (le Ketiv) et à écrire dans la marge le mot lu avec des consonnes différentes, et les voyelles correspondantes.

Par exemple, le texte consonantique porte

ויישם לפניו לאכל ויאמר לא אכל עד אם-דברתי דברי ויאמר דבר

Et le texte massorétique porte

וַיּוּשַׂם לְפָנָיו לֶאֱכֹל וַיֹּאמֶר לֹא אֹכַל עַד אִם-דִּבַּרְתִּי דְּבָרָי וַיֹּאמֶר, דַּבֵּר

Le premier mot ne porte pas les mêmes consonnes dans les deux textes. Il est donc d'usage d'écrire le mot originel dans le texte (ketiv):

ויישם לְפָנָיו לֶאֱכֹל וַיֹּאמֶר לֹא אֹכַל עַד אִם-דִּבַּרְתִּי דְּבָרָי וַיֹּאמֶר, דַּבֵּר

Et de mettre dans la marge le mot lu (keri) וַיּוּשַׂם.

Tout cela permet de conclure que si le texte et le dikdouk divergent, vous pouvez d'abord vous demander si votre niveau de dikdouk est suffisant pour poser la question.

Dans un deuxième temps, il faut admettre que le texte prime sur le dikdouk. Et c'est pourquoi il faut rappeler que le dikdouk tente d'expliquer le texte, et non l'inverse.

Les différentes traditions dans les communautés.

Les différentes communautés juives ont parfois véhiculé des différences significatives dans leur approche de l'hébreu.

Les différentes prononciations des consonnes et des voyelles sont un phénomène bien connu, qui ne relève pas d'une tradition grammaticale différente, mais d'un accent différent en fonction des langues vernaculaires des pays où ont vécu ces communautés.

Parfois, cela frôle la considération grammaticale : les ashkénazes et les yéménites distinguent le ת avec ou sans dagesh, tandis que certains sépharades distinguent le ג avec ou sans dagesh.

De même, certains ashkénazes prononcent les qamatz "O", quelles que soient leur longueur. La nuance entre les deux qamatz devient alors une pure affaire de longueur.

Il y a des différences plus profondes. Lles manuscrits des massorètes contiennent des éléments de tradition qu'aucune communauté juive depuis n'a retenu (ou presque...). Par exemple, à l'époque un sheva mobile hors gutturale, se prononçait comme un hataf-qamatz. Les 2 étaient donc parfois interchangeables. On trouve donc dans le codex d'Alep, des hataf-qamatz, là où de nos jours, on trouve un sheva mobile. Il y est donc écrit "Hallaluyah" au lieu de "Halleluyah". Quelques communautés très conservatrices et scrupuleuses ont conservé cette pratique de nos jours.

De nos jours, sous l'influence de l'hébreu moderne, beaucoup de juifs convergent vers la norme de prononciation israélienne, indépendamment de la prononciation de leurs ancêtres. A contrario, les Israéliens scrupuleux sur la prononciation de la Thora utilisent des règles de prononciation et d'accentuation différentes dans le langage courant et dans leur pratique liturgique.

Les différentes massorètes.

Il y a eu plusieurs étapes dans la notation des voyelles et des nuances de prononciation. Cela a commencé par la notation de certaines nuances dans les cas ambigus (comme le mappiq aujourd'hui). Puis ces notations ont évolué vers 3 systèmes.

Il y a eu le système babylonien, qui date du 6ème siècle, et dont le système a duré tardivement dans certaines communautés, au Yemen notamment. Il notait les voyelles sous la forme de petites consonnes schématisées (א ע י ו) au-dessus des consonnes réelles.

Il y a eu le système palestinien qui fut éphémère. Il se manifeste par des points et traits au-dessus des consonnes. On le retrouve dans la genizah du Caire.

Enfin, il y a eu le système de Tibériade, qui s'est imposé définitivement et est encore usité de nos jours.

Les trois systèmes ne se sont pas développés du jour au lendemain, et l'étude des plus anciens manuscrits permet de mettre en évidence les étapes de leur mise-au-point.

L'ancienneté de la massorète.

Comme pour tout texte religieux (ou autre) dont la date de production est censé être antérieure au plus ancien texte disponible aujourd'hui, se pose la question de l'authenticité, de l'ancienneté de la massora.

Nul ne nie que le système de notation soit la création des massorètes de Tibériade pendant le haut moyen âge. Cependant la réalité notée par ces signes est censée être plus ancienne. Pour un juif croyant, et pour certains protestants elle remonte au don de la Thora au Sinaï (j'ignore ce qu'il en est pour les catholiques).

Je manque d'informations scientifiques sur l'ancienneté de cette tradition. Question qui est distincte de la question de l'ancienneté du texte consonantique (sujet sur lequel j'ai mes petites idées).

Quelques informations semblent plaider en faveur d'une ancienneté d'au moins quelques siècles, jusqu'à l'époque où l'hébreu était encore une langue parlée par certains.

D'abord le système ne ressemble en rien à un système créé ex nihilo. Il a la complexité et la richesse des systèmes issus des langues vivantes, avec des contraintes phonétiques qui ne peuvent venir que d'une pratique vécue.

D'autre part, il y a plusieurs sujets pour lesquels la comparaison avec d'autres langues sémitiques traduit une ancienneté des concepts. Le système vocalique complexe des noms ségolés s'explique assez naturellement par des comparaisons étymologiques d'autres langues sémitiques. Etymologie que ne pouvait en aucun cas connaître les rabbins de Tibériade au 8ème siècle.

Les comparaisons avec l'arabe sont parfois intéressantes. En arabe, l'article Al devant certaines consonnes perd son l et provoque une gémination de la première consonne du nom (shaddah). Ex : on ne dit pas Al Shams, mais Ash-shams.

En Hébreu, l'article ne contient pas de consonne mais provoque une gémination de la première consonne quand elle n'est pas gutturale. Ex : on ne dit pas Ha-shemesh, mais Hash-shemesh (הַשּמשׁ).

Il faut toutefois se garder de conclure trop hâtivement de certaines ressemblances avec l'arabe. Ne pas oublier que les massorètes ainsi que ceux qui ont théorisé le dikdouk, écrivaient en arabe, dans une civilisation qui avait développé des théories grammaticales élaborées pour aider à l'exégèse de ses propres textes religieux. Une personne qui voudrait argumenter contre l'ancienneté de la massora pourrait facilement dire que les ressemblances s'expliquent par l'imitation. Le début de l''activité des massorètes coïncide même avec la montée en puissance culturelle du monde arabo-musulman.

On peut également arguer de l'influence de la prononciation araméenne, langue vernaculaire des sages pendant plusieurs siècles a pu influencer les règles de prononciation de l'hébreu (certains l'affirment pour la double prononciation des בגדכפת).

Tout cela reste hautement spéculatif, et je suis preneur de toute information plus rigoureuse venant d'un lecteur bien informé.